Le protestantisme est si bien adapté à notre culture moderne qu’il risque de s’y confondre. Ce risque de dilution appelle les protestants à redéfinir leur identité.
Les Réformateurs du XVIe siècle placent l’individu devant Dieu avant de le placer dans l’Eglise. Selon la chrétienté du Moyen Âge, on entre en communion avec Dieu exclusivement au travers de l’Eglise universelle, qui détient les clés du Royaume. Pour les fondateurs du protestantisme, la clé du contact avec Dieu n’est plus l’Eglise, mais la foi individuelle. Cette relation personnelle à Dieu traduit l’esprit humaniste de la Renaissance qui se prolonge via le Siècle des Lumières jusqu’à nos jours. L’individu est érigé en instance suprême de vérité, triomphant des institutions et de leurs autorités sacrées. La Réforme restitue ainsi aux peuples laïcs et aux Eglises nationales le pouvoir confisqué par la hiérarchie romaine.
Ce caractère éminemment moderne de la foi protestante marque la fin d’un monde et ouvre une approche très libre de la foi. On en perçoit aujourd’hui les limites. Poussée à l’extrême, cette visée réduit l’Eglise à néant. Seule compte la foi des individus qui n’est plus régulée par aucun repère. L’individualisme règne et les communautés disparaissent. La foi éclairée finit par s’identifier à l’esprit moderne. La marginalisation des institutions religieuses que nous observons en est la conséquence prévisible. Après avoir effacé l’Eglise devant l’individu, le protestantisme s’efface lui-même devant la sécularisation du monde.
Ce risque de dilution suscite au sein du protestantisme des ripostes identitaires à intervalles réguliers. Un premier correctif apparaît dès la Réforme. La Bible, et peu après la doctrine, sont érigées en repères inaliénables de la foi. A partir des Lumières et surtout au XIXe siècle, ces repères centraux seront assouplis par la critique historique et l’interprétation des Ecritures. A la même époque, une riposte autrement plus autoritaire produit une scission au sein du protestantisme. Les milieux dits «évangéliques» se démarquent des réformés traditionnels en rejetant certains aspects de la modernité. Aujourd’hui, répartis entre diverses tendances plus ou moins libérales ou fondamentalistes, les protestants n’ont pas terminé leur crise de maturité. Le protestantisme a besoin d’un nouveau souffle fédérateur.